Les mathématiques mettent l'écologie en équations
Par Paul Molga |
La création d'une chaire d'enseignement associant les mathématiques et la biodiversité à l'Ecole polytechnique ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension des phénomènes naturels complexes.
Les écologistes ont un nouvel allié : les mathématiques. Rodées aux champs de calcul complexes posés par l'économie, les équations s'attaquent maintenant à la masse colossale de données récoltées sur la biodiversité ces dernières années. L'objectif est d'élaborer de nouveaux modèles sur l'évolution probable des écosystèmes, pour fournir une aide concrète aux chercheurs, aménageurs et autres décideurs impliqués dans la gestion des espaces naturels. "A cause du nombre d'interactions et de paramètres qu'elle implique, la biodiversité pose un défi passionnant aux mathématiques", indique Sylvie Méléard (1), l'une des très rares spécialistes à s'intéresser au sujet. Rien à voir avec l'environnement circonscrit des équations financières qui servent à gérer un portefeuille d'actions. "Les échelles considérées introduisent quantité d'inconnues : la taille de l'échantillon, sa géographie, son interaction avec les milieux environnants... Avec les modèles d'analyse les plus récents, on parvient à simplifier ces phénomènes sans rien perdre de leur pertinence. Ca change tout." En introduisant une donnée génétique dans leur scénario sur la propagation des crapauds-buffles dans les champs de canne à sucre australiens, des mathématiciens de l'université de Melbourne ont ainsi compris, avant les biologistes, que les batraciens dotés des pattes les plus longues se reproduisaient plus facilement pour mieux conquérir les plantations. Inutile donc de s'attaquer à toute l'espèce : il a suffi de piéger les envahisseurs en première ligne pour maîtriser l'invasion. | Sursis momentané
Les premiers modèles statistiques ont été élaborés dans les années 1970, mais leur simplification des phénomènes a souvent fourni des résultats controversés. Le modèle de référence conçu par le physicien britannique Robert May (2) considère par exemple que l'extinction d'une espèce est linéaire alors qu'on sait depuis peu qu'elle vit un sursis momentané au cours d'un épisode de stabilité pendant lequel il serait peut-être possible de la sauver. "On ne peut pas réduire la biodiversité à de simples équations," concède le professeur d'écologie Denis Couvet (3). "Mais les modèles mathématiques permettent une approche dépassionnée et objective sur les écosystèmes". Exemple avec une thèse sur les "Modèles probabilistes pour les métapopulations". L'idée du projet est de développer des outils mathématiques capables de modéliser l'influence de la fragmentation de l'habitat sur l'évolution des populations. Le problème est au coeur de l'écologie moderne : Il pose la question des conséquences du grignotement des territoires de la vie sauvage sur l'extinction des espèces, et de l'efficacité des corridors écologiques qui relient entre eux des espaces fragmentés. Réduit en équations, le sujet interconnecte deux ensembles de paramètres : l'organisation spatiale du territoire considéré et l'influence de sa fragmentation sur la génétique des populations. Il espère ainsi modéliser les questions qui ne trouvent aujourd'hui que des réponses intuitives : un espace naturel bien protégé est-il un refuge efficace pour la survie d'une population en danger ? Quelle influence exerce la quantité de territoires reliés sur la survie globale de l'espèce ? Faut-il construire de grandes réserves animales connexes, ou une réserve avec une multitude de petites composantes reliées par des canaux de migration ? Quelle sera la conséquence de cette éventuelle fragmentation sur l'évolution des traits génétiques ? Source : www.lesechos.fr |
![]() |